Press release

08/2022

SOCIETE PUBLICITÉ POUR LES JEUX DE HASARD : 30 MILLIONS D’EUROS, LE PRIX DE L’INTERDIT ?

Interdire les publicités pour les jeux de hasard ? La proposition radicale du vice-Premier ministre et ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), secoue le secteur depuis plusieurs semaines. Coup de théâtre, la mesure découlerait d’une demande de la Loterie Nationale. En contrepartie, celle-ci a accepté de payer 30 millions d’euro supplémentaires à l’Etat, écrit samedi Het Laast Nieuws, sur base d’une lettre adressée au gouvernement que le quotidien a pu consulter. Mieux, l’État n’obtiendra ces millions que si la concurrence est paralysée. C’est le député fédéral, Jean-Marie Dedecker (LDD), qui avait révélé l’existence du courrier de la Loterie le 12 mai dernier lors des Questions au gouvernement en séance plénière de la Chambre. De son côté, le ministre de la Justice a fermement réagi. Il nie toute forme de pression et réaffirme que « le  groupe des joueurs problématique finance jusqu’à 40 % du chiffre d’affaires des sociétés de jeux d’argent. Les profits du secteur sont donc réalisés sur le dos des personnes souffrant de dépendances. Des règles plus strictes seront  prochainement adoptées ». On fait le point.

De la publicité limitée, oui mais laquelle ?

Le 9 mai dernier, Vincent Van Quickenborne a annoncé vouloir s’attaquer à la dépendance aux jeux d’argent, comme le prévoit l’accord de gouvernement. Il a donc élaboré une proposition visant à limiter fortement la publicité pour les jeux de hasard et à en interdire la plupart des formes.
« Sont visés notamment les spots publicitaires à la télévision et à la radio, les annonces et les publicités vidéo sur les sites internet et les plateformes de médias sociaux, les publicités dans les magazines et les journaux, les affiches dans les lieux publics et les publicités personnalisées envoyées par e-mail, courrier, SMS ou publiées sur les médias sociaux. Le principe de base est que seules les personnes qui veulent jouer et recherchent activement des informations sur les jeux d’argent seront confrontées à la publicité pour ces jeux à l’avenir », précise le communiqué. Le texte devrait entrer en vigueur à la fin de l’année.

Pour définir le point central qui fait l’objet du débat, par « publicité », les différents arrêtés royaux que nous avons examinés parlent de : « toute forme de communication destinée à promouvoir […] des biens, des services ou l’image d’une entreprise […] quel que soit le lieu ou les moyens de communication mis en œuvre ».

Cette définition très large diffère de celle utilisée dans d’autres décrets pour d’autres secteurs. Il est ainsi communément admis que la publicité « média » désigne toute forme de communication interactive utilisant un support payant mis en place pour le compte d’un émetteur en tant que tel. Le deux poids deux mesures, en termes de définition en ce qui concerne la publicité relative au secteur des jeux de hasard questionne à tout le moins d’un point de vue juridique.

Une addiction sélective ?

« 64 % de la population âgée de plus de 18 ans tente sa chance à des jeux d’argent au moins une fois par an », affirme Vincent Van Quickenborne. La dépendance au jeu pathologique est l’incapacité d’arrêter de jouer à des jeux d’argent. En Belgique, quelque 175.000 personnes sont confrontées à ce problème chaque année.

Et de poursuivre : « Des études montrent que les joueurs dépendants dépensent en moyenne 42 % de leurs revenus mensuels pour jouer. Mais la dépendance au jeu peut aussi conduire à négliger sa santé, induire de l’anxiété et provoquer de l’agressivité, de l’isolement, des conflits, des problèmes relationnels, de la dépression et même des pensées suicidaires ».
Ce constat posé ne démontre toutefois pas si les jeux d’argent proposé par les opérateurs privés seraient plus addictifs que les jeux traditionnels, tel que la Loterie Nationale, en termes de  santé publique.

78% des joueurs jouent au Loto

Pour comprendre la dépendance de l’activité des joueurs problématique, il est utile de s’intéresser à une étude française réalisée par Jean-Michel Costes, secrétaire général de l’Observatoire des jeux de 2011 à 2020, chercheur associé à la Chaire de recherche sur l’étude des jeux de l’Université Concordia de Montréal et membre depuis 2020 du collège de l’Autorité nationale des jeux.
A la demande du Baromètre de Santé Public France, il y détaille les ressorts du jeu problématique et son évolution avec les jeux en ligne, avant la privatisation de la Française des Jeux fin 2020.

Avec environ 6 joueurs sur 10, les jeux de loterie (tirage ou grattage) sont loin en tête et 78,5% de leurs adeptes jouent exclusivement à ce type de jeux. On trouve ensuite les paris sportifs (11%), les machines à sous (9,7%), les paris hippiques (7,7%), les jeux de casino (5,9%) et le poker (2,9%). Les autres activités (jeux d’adresse, paris sur compétitions de e-sport et paris financiers) sont marginales (moins de 1,4% des joueurs).

La répression produit de l’assuétude

Toujours selon Vincent Van Quickenborne, « la publicité pour les jeux d’argent pousse les joueurs à jouer de manière plus intensive et augmente le risque de rechute chez les joueurs dépendants (…). En 2018, la réglementation en la matière a été renforcée. Aujourd’hui, nous constatons que ce dispositif légal n’a pas empêché la croissance exponentielle de la publicité pour les jeux d’argent ». Et pour cause.

Nous avons interrogé Natalia Grynchychyn, psychothérapeute spécialisée dans les addictions, traducteur Interprète juré auprès du Tribunal de Première Instance de Namur.
« L’interdiction génère des comportements d’opposition. Elle est un facteur d’attractivité, surtout pour les jeunes. Transgresser l’interdit est tentant. La perception de l’interdit comme une frustration va avoir un effet boule de neige. On obtient le résultat opposé au but recherché. La loi agit donc en sens inverse de l’effet dissuasif puisqu’elle constitue de facto en elle-même une incitation. Un cadre légal répressif produit donc des joueurs. La balance bénéfices/risques penche clairement du côté de l’addiction. A l’inverse, on le voit aussi avec les drogues, et particulièrement le cannabis, les pays qui ont dépénalisé ont ainsi pu une diminution du nombre de consommateurs ».

Une croissance florissant

Vincent Van Quickenborne a fermement contesté samedi tout lien éventuel entre les projets du gouvernement d’interdire les publicités pour les jeux de hasard et une éventuelle demande en ce sens émise par la Loterie Nationale. Selon le ministre, « ces insinuations viennent du lobby des jeux de hasard ».
Il rappelle que, « dès le 24 juin 2021, dans la foulée de l’Euro de football, où les publicités pour les paris sportifs étaient omniprésentes, il a été question au parlement de durcir les règles ». Le ministre de la Justice souligne aussi que sa proposition « n’épargne guère la Loterie Nationale dont les activités liées aux paris sportifs (Scoore) seront soumises aux règles plus strictes ».

Rappelons tout de même que 50% du chiffre réalisé par la Loterie Nationale provient toujours des ventes en librairie. Ces cinq dernières années, la Loterie Nationale affiche une croissance moyenne de 4,5%. En 2021, elle a réalisé une chiffre d’affaires de 1,530 milliards d’euros pour 299 millions de jeux vendus à un prix moyens de 1,5 euros.
En plus d’une augmentation significative de ses ventes via les canaux digitaux, sa stratégie est basée sur de petits montants misés dans les 7800 points de vente du pays. En 2021, près de 104 millions de gagnants belges se sont partagés 896 millions d’euros de gains.